vendredi 13 juin 2014

Information







Matériel supplémentaire

Depuis quelques décennies,maintenant, le mathématicien créationniste William Dembski a été un chantre du concept de complexité irréductible, qui en deux mots nous dit qu'il y a dans la nature des choses ou des phénomènes qui sont si compliqués qu'ils n'auraient jamais pu se développer sans une aide surnaturelle (ou à tout le moins une main invisible mais mue par la raison, même si ce devait être la main des extra-terrestres de Raël). Il va sans dire que les défenseurs de ce concept disent ne s'appuyer que sur la science et surtout pas sur leurs croyances religieuses, même si par une coïncidence encore plus stupéfiante que celle qui mènerait à la génération spontanée, tous sont non seulement religieux mais le plus souvent américains et évangéliques. Dembski lui-même est en plus détenteur d'un doctorat en divinité. (En tant qu'ex-catholique je ne sais pas trop ce que ça veut dire sauf que ça n'est pas un diplôme en théologie. Il semble qu'aux Etats-unis, ce titre soit décerné (le plus souvent de façon honorifique) par des institutions académiques affiliées à des églises particulières. À mon sens, c'est donc un peu comme un diplôme en étude des Pokémons: on le décerne à des gens qui ont beaucoup discuté de créatures qui n'existent pas).

Existe-t-il des choses si compliquées qu'elles ne puissent pas s'être formées spontanément? La question serait intéressante dans le cadre d'un cours de philosophie, comme le serait celle qui demande si un Dieu tout-puissant est capable de créer une pierre tellement lourde que même lui n'est pas capable de la soulever. Personnellement, je dirais que même un Boeing 747 peut se former sans aide surnaturelle, parce qu'il a été créé par des techniciens, qui ont eux-mêmes évolué à partir de forme de vie plus primitives, qui ont elles-mêmes évolué à partir de molécules auto-réplicatives complexes, qui ont elles-même évolué à partir de molécules plus simples, qui se sont formées à partir des composantes de notre planète, qui s'est elle-même formée par accumulation de poussières cosmiques, qui viennent elles-mêmes de l'explosion de supernovas, qui viennent elles-mêmes d'une accumulation massive d'hydrogène, qui vient lui-même de l'association de particules sous-atomiques dont l'origine remonte au big bang. Donc, un 747 se développe "spontanément" dès qu'un univers apparaît. Mais ce n'est pas tout à fait de cela qu'on parle quand on mentionne la complexité irréductible.

Ce qu'un biochimiste créationniste comme Michael Behe (oui! Il y en a! Au moins un, en tout cas) voit comme un cas de complexité irréductible qui prouve la nécessité de l'existence d'un ingénieur céleste, les autres biochimistes le voient comme un système qui, quoique compliqué, s'explique sans recours à la magie. L'équivalent biologique, si vous voulez, d'un téléphone cellulaire pour quelqu'un qui n'est pas versé en électronique des communications (je n'ai aucun idée de la façon dont ça fonctionne, et même si je regardais à l'intérieur je ne serais pas plus avancé. Pourtant, je n'ai encore jamais entendu parler d'argument théologique basé sur l'existence des téléphones cellulaires, même si ces derniers nous permettent d'entendre des voix comme Jeanne d'Arc). Le flagelle des bactéries a longtemps été mis de l'avant comme un exemple de complexité irréductible, parce que cette machine moléculaire qui permet à certains micro-organismes de se mouvoir est constituée d'un très grand nombre de parties et que l'évolution en parallèle de chacune jusqu'à ce qu'un jour, *miracle séculier!* elles s'assemblent pour former un flagelle fonctionnel semble ridiculement improbable. Oui mais bon, voilà, il y a bien longtemps qu'on sait que le flagelle est constitué de pièces qui participent à d'autres opérations, ou qui ont évolué à partir d'autres systèmes un peu moins complexes (comme celui du système de sécrétion de type III de Pseudomonas, qui partage plusieurs protéines avec le flagelle). Oui, un gros club sandwich tout préparé est très impressionnant, mais on comprend mieux d'où il sort quand on sait qu'il y a du fromage, du poulet et de la mayonnaise au frigo, du pain et du bacon pré-cuit dans le placard, de la laitue et une tomate sur le comptoir et un couteau dans le tiroir. On hésite à croire que le sandwich est apparu spontanément d'un seul coup.

Il y a des affirmations qui en jettent vraiment, surtout quand elles sortent de la bouche d'un physicien ou d'un mathématicien dont on sait déjà qu'il a un QI format familial; des trucs du genre "l'information ne peut être ni créée, ni détruite". Je n'ai aucune idée de ce que ça veut dire au point de vue quantique. Je ne sais même pas tout à fait ce que veut dire "point de vue quantique". Je sais cependant que dans notre monde macroscopique, on peut certainement détruire de l'information: plus personne ne sait quel était le catalogue exact de la bibliothèque d'Alexandrie, ni tout ce qu'on pouvait y apprendre, ni même qui avait encore des livres en retard quand elle a passé au feu. Créer de l'information? Encore plus facile. Tiens, je viens d'écrire le mot "Canard" (avec un C majuscule) sur une feuille de papier à côté de mon clavier. Vous ne le saviez pas il y a trois secondes, mais maintenant, si. Cette information vient d'être créée.

Bon, je rigole, là, mais cette histoire à propos de l'information a bel et bien été traitée avec sérieux par Dembski, et ses fans créationnistes traitent ses idées (et les citent) comme si elles avaient la même validité que les lois de la thermodynamique d'Isaac Newton. Ils sont aussi mauvais que moi en mathématiques (et bien pires en biologie) mais ils affirmeront comme si c'était une évidence scientifique que "ni des algorithmes ni des lois naturelles ne sont capables de produire de l'information".

Que l'ADN contienne de l'information, j'aurais mauvaise grâce à en disconvenir. Manifestement, la succession de nucléotides le long de l'ADN est une forme de code (onne l'appelle pas "code génétique" pour rien) qui dicte l'ordre d'assemblage des acides aminés qui formeront les protéines. En outre, et cela ajoute sans doute à la confusion, la séquence des nucléotides le long de l'ADN n'est d'habitude pas représentée de façon graphique (ce qui serait plus correct), mais en donnant l'initiale de chaque nucléotide présent sur la molécule: A, c, G et T, suggérant au premier coup d'oeil qu'il y a quelque chose d' "écrit" dans l'ADN, qu'il y a là un authentique message. Comme si c'était du morse avec ses points et ses traits, ou une ligne de code informatique avec ses 1 et ses 0. Mais là, nous somme trahis par notre analogie, parce qu'il y a une grosse différence entre la séquence ACGGTCGTGCACGCGTGCGATGC dans l'ADN et la séquence "il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie" dans Hamlet. Dans le dernier cas l'information, le message, est véhiculé par un système de communication totalement indépendant du message lui-même; la phrase pourrait être écrite en Chinois ou en Russe, ou être lue à voix haute, et rester la même. Mais le message de l'ADN doit être composé de nucléotides.

Chaque nucléotide est plus qu'un symbole; c'est une molécule dont la forme déterminera son interaction possible avec d'autres molécules impliquées dans de nombreuses réactions permettant la réplication et l'expression des gènes. À cet égard, chaque nucléotide est plus comme la dent d'un rouage dans une machine que comme une lettre dans un texte. Mais même l'analogie de la roue dentée ne peut pas nous mener bien loin, car dans toute machine chaque rouage doit être placé de façon précise par rapport à d'autres rouages, et chaque pièce a une fonction donnée. Quoiqu'en dise l'élégante analogie de William Paley, alors qu'une montre ne contient pas de rouages excédentaires, de rouages brisés, de rouages qui ne servent à rien, de pièces ressemblant vaguement à des rouages, un génome est rempli de pseudogènes, de transposons, de restes de rétrovirus intégrés et de séquences qui ne servent à rien.

Mais pourtant il y a bel et bien de l'information dans notre ADN! Sauf que cette information n'est pas un code abstrait qui demanderait la présence d'un codeur; elle est de nature mécanique, elle est de nature matérielle comme l'est la position du nord magnétique pour un aimant où la direction que prendra l'eau quand elle atteindra un canal incliné.

mardi 10 juin 2014

Grosse collision








Matériel supplémentaire

La réalité humaine de tous les jours se situe à une échelle tellement petite par rapport à celle de l'univers qui l'entoure que même avec des efforts d'imagination il nous est difficile de vraiment bien nous représenter les gouffres immenses séparant deux simples étoiles (et à plus forte raison deux galaxies).

Une galaxie est un assemblage gigantesque de quelques dizaines ou quelques centaines de milliards d'étoiles, tournant comme une roue lumineuse dans le noir du vide cosmique. Entre les galaxies, qu'on a aussi jadis appelées "univers-îles", s"étendent des régions dépourvues d'étoiles pouvant mesurer des millions d'années-lumière. Ainsi, notre propre galaxie (la Voie lactée) a un diamètre d'environ 100 000 années lumière (ce qui signifie que la lumière met 100 000 ans pour la traverser d'un bout à l'autre) et notre plus proche voisine galactique, Andromède, qui fait dans les 140 000 années-lumière, se situe à environ 2,5 millions d'années-lumière de chez nous. L'image d'Andromède que que perçoivent nos yeux dans le ciel nocturne, la lumière qu'elle a émise et qui finalement parvient jusqu'à nous, est partie de là-bas il y a 2,5 millions d'années. Le genre Homo, auquel notre espèce appartient, venait tout juste d'apparaître sur la Terre (mais notre espèce, Homo sapiens, devait encore mettre plus de deux millions d'années pour arpenter la savane).

Les galaxies ne sont pas immobiles dans l'espace, et il arrive qu'il y en ait qui se rentre dedans. Bien sûr, même si on imaginait qu'elles fassent un face-à-face à la vitesse la plus élevée qui soit, la vitesse de la lumière, il faudrait des dizaines de milliers d'années pour qu'on le remarque; toutes proportions gardées, ce serait comme si deux voitures faisaient collision à environ 0,4 mm/h.

En outre, alors qu'une voiture est faite d'une carcasse solide, une galaxie est composée de myriades d'étoiles séparées par des abysses intersidéraux de plusieurs années-lumière (plus de 4 entre le soleil et sa plus proche voisine, Proxima du centaure). Deux galaxies entrant en collision s'apparentent donc plus à deux nuages qui se percutent qu'à deux camions malchanceux.

Naturellement, la gravité de toutes ces étoiles qui se rapprochent, elle, a un effet déterminant sur la forme des galaxies qui les contiennent. Tous ces corps massifs s'attirent les uns les autres, les spirales d'étoiles se défont, les astres individuels sont chassés de leur orbite habituelle, et les galaxies en collision sont aussi démolies que les voitures ci-haut mentionnées. Et elles ne sont pas assurées. Le phénomène demande seulement des centaines de millions d'années plutôt qu'un clin d'oeil.

En passant, et ce n'est pas pour vous inquiéter, notre Voie lactée et la galaxie d'Andromède se dirigent l'une vers l'autre à la vitesse de 430 000 km/h. On s'attend à ce qu'elle se rejoignent dans 4 milliards d'années. ("Mais que fait le gouvernement?" demandera l'opposition). Notre soleil devrait donc encore être présent quand cela se produira... bien que je doute qu'il reste alors des astronomes pour admirer le phénomène.

jeudi 5 juin 2014

Slender man








Matériel supplémentaire

Slender man ("l'homme mince") est un personnage inquiétant créé en 2009 sur un forum internet portant sur les histoires fantastiques et les histoires d'horreur. Ses premières apparitions furent sur des photo-montages où des enfants semblaient observés par un individu démesurément grand et mince, mal défini; une figure tout droit sortie d'un cauchemar. La légende accompagnant les photo-montages disaient que les 14 enfants des photos avaient disparu peu de temps après pendant la même journée, de même que le photographe. En fait d'histoire fantastique, c'était drôlement bien ficelé!

Slender man s'inscrit dans la même lignée que d'autres créatures maléfiques qu'on ne voit jamais vraiment mais qui font peur à tout le monde: le bonhomme sept heures, le croquemitaine, le grand Lustucru...

Le personnage a donné lieu à diverses adaptations dans des histoires, des jeux et quelques tentatives de film. Il a malheureusement aussi inspiré un quasi-assassinat perpétré par deux gamines de 12 ans. Heureusement, cette fois-ci, la réalité n'a pas dépassé la fiction.

mardi 3 juin 2014

On ne saura jamais, mais...





Bactériothérapie fécale








Matériel supplémentaire

Il y a des approches thérapeutiques qui, de prime abord, peuvent choquer un peu. Ainsi, l'utilisation de sangsues, pourtant longtemps préconisée, a un facteur beurk assez élevé même si dans certains cas ces invertébrés relativement antipathiques peuvent s'avérer des alliés de valeur (particulièrement lorsqu'on doit réattacher un doigt amputé à la main de son propriétaire).

Une technique surprenante que l'on examine avec soin depuis quelques années pour le traitement de patients est la bactériothérapie fécale (que je préfère sous le nom plus pittoresque de "greffe fécale". Elle est connue depuis longtemps pour le traitement du bétail, mais ses possibilités en clinique n'ont que récemment fait la manchette. Cette approche est basée sur une observation toute simple: les diverses populations bactériennes retrouvées dans nos intestins, d'habitude vivant en harmonie et contribuant à notre homéostasie, sont déstabilisées dans de nombreuses situations pathologiques. Ainsi, un examen sommaire de la famille Papineau montrera que Papa Pierre et Maman Patricia, Grand frère Patrick et Grande soeur Paule, tous bien portants, partagent à peu près la même flore intestinale alors que Petit frère Philippe, souffrant d'un problème inflammatoire intestinal, a une flore de composition différente. En introduisant dans les boyaux du patient une suspension de bactéries prélevées dans les intestins de sa famille, on réussit à le ramener à la santé. Ce qui ne pourrait être qu'une anecdote s'est révélé tellement reproductible que les tests initiaux, destinés à vérifier que l'effet observé était bien réel, ont été interrompus tant il aurait été immoral de laisser les contrôles négatifs ne pas profiter d'une technique qui donnait de si bons résultats!

L'une des forces de cette approche est qu'elle utilise certaines souches de bactéries contre d'autres. Grâce à la bactériothérapie, on peut ainsi contrer la présence de bactéries résistantes aux antibiotiques (notamment la terrible Clostridium difficile, ce dragon nosocomial qui rend un séjour à l'hôpital plutôt inquiétant par les temps qui courent. La simple compétition de ce Clostridium avec la flore intestinale normale ne lui est pas favorable, et sa population baisse jusqu'à ne plus être dangereuse.

La bactériothérapie nous rappelle que le corps humain contient dix fois plus de cellules bactériennes que de cellules humaines. Il ne surprendra personne que l'harmonie entre tous ces partenaires ait une importance déterminante pour le maintien de la santé de ce qui fait notre personne.